Non, c'est des conneries.
On entend "Le Pen pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses". Mais ça c'est juste un mot d'auteur pour faire bon-joueur-qui-concède-un-point-à-l'adversaire. C'est de la démagogie. Les mecs, ils se disent, bon, il a fait 16% y a cinq ans, ça veut dire 16% d'électeurs potentiels pour moi. Il faut pas les brusquer, pas les effaroucher : ça peut servir. Caressons dans le sens du poil. Mais en même temps, ils se disent : il faut que je marque ma différence, sinon pourquoi me choisiraient-ils moi ? question intéressante. Premier temps je concède un point de détail, deuxième temps je démolis tout à la sournoise. Premier temps je vous fais le baisemain madame la marquise, deuxième temps je t'encule à sec ma cochonne.
C'est pour ça que nos politiques jugent les problématiques soulevées par ce Monsieur Le Pen si pertinentes. Parce que, bon, faut bien vendre son beurre, tous les moyens sont bons, enfin quoi.
Les questions que Le Pen y pose, c'est des trucs genre :
Aujourd'hui, en cas d'attaque, la jeunesse ne défendrait pas la France au prix de son sang. Comment y remédier ? (sisi je viens de l'entendre) Il répond : inculquons aux nouvelles générations cet amour de la Patrie qui fit jadis la noblesse de la Nation. (je sais pas si vous avez remarqué, mais il prononce même les majuscules. C'est un grand orateur.)
Comment résoudre le problème de l'immigration ? Au tac-au-tac : fermons les frontières.
Comment combattre efficacement les sauvageons qui brûlent des bagnoles ? ("bagnoles", c'est de moi. Ca sonnait mieux, je trouve.) Il bondit : Impunité zéro !
Hé tartuffe ! t'inverses tout. Je suis bien content de vivre dans un pays de lâches et de déserteurs. Un type qui s'enfuit c'est quand même moins nocif qu'un type qui me tire dessus. Enfin, c'est personnel. La question elle est absurde. Elle sous-entend que, bah, Verdun vaut mieux que Woodstock. Par contre, la réponse est hyper-cohérente : quand tu pars du principe qu'il faut encourager les gens à se castagner pour la France, ben oui, le meilleur moyen c'est de leur inculquer l'amour de la Patrie et tout ça, c'est évident.
C'est en effet une excellente réponse. Sauf que la question était foireuse. La question seule.
"Pour détruire une ville, vaut mieux se servir d'un cure-dent ou d'une bombe H ?" Sers-toi de la bombe H, mon ami. Je réponds à ta problématique débile et meurtrière, mais j'y réponds en toute justesse. Tu peux pas remettre en cause l'exactitude de ma réponse, quoique tu dises, une bombe ça fonctionne mieux, c'est bien c'est pas bien, on s'en fout, c'est comme ça.
Pareillement, c'est clair que si tu veux stopper l'immigration, il suffit de mettre des barbelés sur les frontières, oui, tout juste, c'est le plus efficace. D'accord, mais pourquoi vouloir empêcher les gens d'entrer ? Motifs bassement raciaux, sociaux, ou économiques. Ne nous voilons pas la face. Motifs dégueulasses. Encore la question qui déconne et dont l'égoïsme patriocard... bref je digresse.
Les "sauvageons"... Mais je veux pas les combattre moi ! Sinon, évidemment, j'ordonnerais aux flics de tirer à vue. Ils m'obéiraient, et ils auraient bien raison, parce que là, mon vieux, je te prie de croire qu'ils boufferaient cher, les voyous ! Moi j'veux juste qu'ils n'aient plus de raisons de foutre le feu. Sans mauvaise foi ni attrape-Ducon, la question se poserait en ces termes : comment faire pour qu'il n'y ait plus d'émeutes ?
Là oui, on pourrait causer pour de vrai.
Voilà. Je voulais juste dire ça. Les thèses de Le Pen tiennent dans ses questions, et non dans ses réponses.
Reconnaître la justesse des réponses qu'il apporte, c'est de la simple bonne foi.
Mais reconnaître la justesse des questions qu'il pose, là c'est carrément souscrire à ses idées, cautionner sa thèse, l'adopter en fin de compte.
Et y a pas mal de très-présidentiables à l'avoir prononcée, cette phrase : "bonnes questions, mauvaises réponses".
Magouilleurs !