1h45 et je rumine...

C'était un zoo, un très grand zoo, dans les montagnes de Cantabrie, quasiment un parc naturel, avec des tigres, des éléphants, des autruches et plein d'autres bestioles. Un enclos tous les 100m, le dernier tout en haut, celui des éléphants. Un cadre magnifique, les pics couleur printemps, fleurs et verdure, et le soleil là-dessus...
Oui mais j'me suis fait chier, figurez-vous. Déjà j'aime pas les zoos, ça me rend malade de savoir qu'on peut considérer les êtres vivants comme des attractions modelables à la guise du public. Puis le public parlons-en... le bon con de touriste ventripotent qui vient se donner les frayeurs de la vie sauvage, la nostalgie de la nature toute-puissante... il pige pas que ce qu'il a sous les yeux, c'est exactement l'antithèse de la vie sauvage, c'est une parodie ridicule, un pantin désarticulé. Une parade... Le romantisme à portée des glands, au prix, qui plus est, d'une réelle souffrance animale. Comme la corrida finalement... Et ces tartuffes là prétendent, en société, qu'ils sont les plus fervents amis des bêtes qui soit ! "Protège-moi de mes amis, je m'occupe de mes ennemis".
Où j'en étais moi ? je m'emporte... ouais. Donc ça m'a lourdé, pourtant c'était vraiment vraiment beau comme endroit, j'y peux rien, les enclos me foutent la gerbe. Alors au lieu de suivre les hommes-sandwich kodak chuis monté discrétos pendant les lions sur la montagne d'à côté, magnifique aussi, sans cages. J'en ai vachement chié, mais finalement j'suis arrivé en haut, tout en haut, sous les nuages, 4 ou 5 heures à crapahuter, le bonheur. Y avait des fleurs, c'était bien. J'me dis, je vais regarder la vue bien bien, m'en foutre plein les papilles, ça va être super, pas tous les jours qu'on fait ça, en plus sans personne à côté pour tout foutre en l'air avec des commentaires débiles ou pour passer un coup de fil extatique, non là je divague, y avait pas de portable à l'époque, m'enfin dans l'idée c'est ça. Foutus autres...
J'ai regardé en face, superbe, derrière, éblouissant, en bas... et merde ! le bus de ces cons ! mais même quand ils sont pas là ils te pourrissent le paysage hein ! pas vraiment méchants, seulement voilà, goût de chiottes, la merde est contagieuse, non contents de l'avoir dans la tête, il la leur faut aussi sous les yeux, alors ils l'exportent. Quand t'es dans un bus, tu le vois pas le bus, alors ça les gêne pas, mais quand ils voient un bus, un autre bus, ils gueulent ça respecte pas la nature c'est pas pittoresque ça fait tâche sur la photo niania. Ils oublient d'intégrer leur point de vue au paysage, oublient de s'apercevoir que leur seule présence, avec le bouffe-gazoil et les malbacs, les bouteilles de coca et les belles phrases d'esthètes en mal de reconnaissance, démolit ce qu'ils admirent. Nient la subjectivité, en quelque sorte. Z'aiment le beau mais préfèrent le confortable, au sens american way of life du terme.
Puis après, bien plus tard j'me suis corrigé, non, c'est pas exactement ça. C'est la faute aux panneaux. Sur les panneaux y a écrit zoo, sur les panneaux on leur dit de regarder les bestioles, et même de les nourrir, tiens, le con aime l'interactivité. L'interactivité en langage pas beauf ça s'appelle l'aventure et la poésie, mais ça ils méprisent, c'est un truc de pédé, de gonzesse et de jeune marginal. Regarde plutôt un match de foot mon fils, ça te fera la bite.
J'étais plutôt aigri, comme gamin.
Déjà, les panneaux, dans ce cas précis, les orientent vers le moche, le cruel et le vulgaire : les êtres vivants derrière les barreaux. Mais en plus ça sous-tend une rhétorique de parc d'attraction, genre space-mountain : ça les traite en client, et tout le monde sait que le client est roi, alors ils se permettent tout, habitués à ce qu'on nettoie après leur passage et à ce qu'on ne les engueule pas. En effet, on ne les engueule pas, mais personne ne nettoie derrière eux. Sont là en consommateurs, déterminés par la phraséologie des panneaux et des dépliants publicitaires.
Si les panneaux disaient regardez plutôt la montagne autour, elle est plus jolie plus intéressante etc, ma main à couper qu'ils le feraient, les trucs jolis z'ont besoin qu'on les leur pointe du doigt pour qu'ils les voient, et ça serait un peu moins cruel, d'accord, mais sur le plan dégueulassage ça reviendrait au même, ce serait peut-être pire : plutôt que de pourrir le cadre du zoo ils pourriraient les endroits vraiment bien.
Alors j'me dis qu'il faut peut-être virer les panneaux, libérer les animaux et cramer les dépliants. Les touristes iraient voir d'autres space-mountain, spécialement conçus à leur usage, et foutraient la paix à la Cantabrie. Ils s'y amuseraient tout autant, une attraction en vaut une autre. Du moment qu'on a les cartes postales, n'est-ce pas...
Quand j'suis redescendu de la montagne, les joues rouges et avec plein de choses à raconter, un bouquet de fleurs marrantes à la main, il faisait déjà presque nuit, on m'attendait en bas, j'me suis pris un sacré savon. Ils avaient passé la journée à me chercher... je leur avais gâché la visite, et, je m'en rends compte maintenant, z'avaient dû économiser longtemps pour ce voyage en Espagne, devaient s'en faire une joie des semaines à l'avance, "le petit va voir la nature" et tout ça, s'encoconner dans de l'image d'Epinal bien douillette, le môme qui donne des cacahuètes aux éléphants en tenant la main de pépé, et après il réclame une glace, on dit non mais on finit par la lui donner sinon il va faire la gueule et il voudra pas remonter dans la voiture.
Ca, j'avais pas voulu le voir, j'avais vu que le côté crade, j'ai refusé de comprendre que les petits garçons n'ont pas le privilège du sentiment, que les grands aussi peuvent être heureux, ou malheureux. Tout flanqué par terre... j'ai pas donné de cacahuètes aux éléphants, c'est un peu l'avortement de leur rêve finalement, rêve puéril, rêve quand même, qu'on ose à peine formuler, qu'on savoure quand il se réalise... et qu'on assassine avec un sanglot quand il s'effondre, comme un pan d'imagination. J'me dis que ça m'aurait pas coûté vraiment cher de faire semblant de m'amuser pendant une journée. Que j'aurais dû, d'ailleurs... Je les voyais comme des forteresses et c'étaient des petits chats, vulnérables, pleins d'amour, réellement timides, sensibles, qui ne se livrent pas sans garantie, sans preuve d'affection. Ils n'osent pas tendre le cou, de peur qu'on les étrangle. Mais ils essaient parfois... et c'est terrifiant, d'étrangler les petits chats. Parce qu'en général c'est par mégarde.

Ouais. C'est une histoire sans morale, ou alors je l'ai pas encore trouvée.
En tous cas, j'peux plus voir les panneaux en peinture.

J'ai tout lu en entier

et puis heu... c'est tres mignon... mais ca fait culpabiliser ton truc.
Tu fais chier, merde !
Bah oui, au début de ma lecture je me disais :"roooh il va pas s'y mettre lui aussi, les oiseaux, ca a presque pas de cerveau, alors moi je suis pas fan des zoos, mais si ca amuse des gens de venir en regarder derriere des grilles, c'est pas vraiment ce qui m'offusque le plus dans ce vaste monde..." Et puis c'est vrai quoi, si ça continue tu vas poser nu pour dire "non" aux tests sur les animaux...
Enfin je sais bien qu'au delà de ça, les pauvres bêtes, ya un autre problème... C'est que les gens sont incapables reflechir sur eux-même, sur leur vie, et sur la vie... Alors ils croient tout. Et il y a de grands psy qui gouvernent la terre, et qui passent leurs journées à les manipuler.
Mais moi je comprends les gens. C'est ce que je te disais un peu la derneire fois, .. C'est trop chiant de devoir faire gaffe tout le temps tout le temps à ça. Alors ya des desfois tu te laisses enculer, ca fait du bien, et tu penses "c'est vrai qu'ils sont jolis ces flamans roses"... Et c'est cooool....

Ca fait un peu société robotique poussé à l'extréme quand tu prends du recul. Et pourtant c'est franchement ce qui se passe.
Par rapport au fait que des fois on se laisse attendrir nianiania, j'pense qu'on a autre chose à foutre que d'aller dans les zoo. Et si on les fermait, oui, là, les gens n'iraient plus. Et les flamands roses, obligée de voyager pour les voir.
Quoique, quitte à ce que Grosbeauf pollue quelque part, j'préfére quand même que ce soit un zoo du coin que la nature (quasiment) vierge, que Grosbobof va polluer parcequ'il a les sous, mais c'est bien connu, et c'est le problême de la société d'ailleurs, y a plus de Grosbeauf qui peuvent juste payer l'entrée du zoo que de Grosbobof qui ont tous les sous de la société et qui se payent des safaris comme des cons.

Putain ! t'es jamais allé dans un zoo ?

Si mais y a un éléphant qui m'a pris par le bras et on a été obligé de me retenir, au lieu de prendre juste la cacahuéte que je lui donnais. Et une hyéne qui a mordu une copine à moi. Ca pue les zoo. En plus d'être enfermés, les animaux sont cons et méchants dans ces bordels commerciaux de merde

Mais c'est encore un problème de "panneaux" les safaris... A une autre échelle évidemment, mais c'est la conséquence directe de la "société robotique", je trouve. Si dire "je suis allé en safari" faisait pas clâsse (bien appuyer l'accent circonflexe) dans les salons, ou, plutôt, si ces mecs se disaient pas en safari "qu'est ce que je suis classe" et donc ne se convainquaient pas d'avance qu'ils ont bien fait d'y aller, personne irait... s'y amusent pas plus qu'autre part, mais c'est l'apanage du chic, alors s'autopersuadent que c'est génial, et si le safari existait pas, ils s'en porteraient probablement pas plus mal, c'est là que c'est quand même bizarre. Un peu comme la pub... on te dit t'as absolument besoin de Truc de la marque Machin, alors tu le crois, alors t'achètes, mais si ça existait pas t'aurais même pas fait gaffe que t'en avais absolument besoin. Enfin j'm'égare et je perds l'idée en route...
Quelquepart c'est ce que tu disais par rapport à Delerm, ben (je mets pas la majuscule parce que... hein...)... Le mec qui préfère regarder les fleurs sur le bord de la route plutôt que les monuments historiques. Ce qui est étonnant, c'est que cette phrase sonne comme un aveu d'originalité : le panneau, dans ce cas-là, il est dans la tête, fermement ancré, et il pointe le monument plutot que la fleur, à tel point que ça demande un effort de regarder la fleur, qu'on s'en veuille presque de pas faire le tour des musées et de se coucher dans l'herbe en regardant le ciel... Alors tu fais le tour des musées, en quelque sorte tu te dis "c'est vrai qu'ils sont jolis ces flamands roses", mais ton coin d'herbe tu le retrouveras pas... tiens, une Passante. Tu la reverras pas, t'as pas osé la suivre... et tfaçons t'avais mieux à faire. Cause toujours...
Pareil pour les safaris... j'imagine que c'est à cause d'un concours de circonstances malheureux qu'on pense comme ça, ç'aurait pu être la pétanque l'apanage du chic, mais voilà, les panneaux indiquent ceci plutôt que cela, tant pis...
Ca se retrouve aussi dans Le Monologue Skakespearien, "le clan des veuves s'éclate, parce que bon, c'est Shakespeare". Si t'aimes pas une pièce tu te culpabilises immédiatement en te disant que tu passes à côté du plus important, que t'es pas assez intelligent ou pas assez autre chose, ou alors les autres te le font remarquer, avec plus ou moins de finesse. Alors que... bah c'est qu'une pièce.
Finalement ça rejoint l'An 01 tout ça... j'peux pas m'empêcher de penser à la scène où le môme demande à son père pourquoi les mecs de 1971 coupaient l'herbe avec le gros engin du musée, la tondeuse... Rien que pour ses "pourquoi", ce film est magnifique.
Les panneaux quelquepart c'est la représentation concrète de tous les déterminismes de la société du spectacle, la grande soeur de l'autre, celle de la consommation... lesquels déterminismes sont manifestement pas aussi simples à foutre par terre que ça.
Ouais... j'viens de finir "L'existentialisme est un humanisme", et ça me réussit pas.

Effectivement tu commences à tourner en rond mais c'est pas grave, c'est bien quand même...
Enfin, moi je pense que malgré tout, ya quand meme de plus en plus gens qui se rendent compte de ce que tu dis. Et on s'en rend compte avec l'art contemporain. A partir des années 60, combien de courants artistiques ont dévoué leur talent à faire comprendre aux gens que l'art n'avait rien de propre, et que c'etait la vie qu'il fallait regarder. Moi je crois quand meme que quelque part, on tend vers ça. J'avoue qu'on prend des chemins bizarre pour y arriver, et que ce n'est qu'une minorité encore qui ouvre ses yeux d'artiste pour apprécier ce qu'il y a vraiment d'appreciable dans ce monde. Mais quand tous ces gens seront morts, ces artistes, alors on dira :" pitan mais oui ! z'avez raison ces gars là". Enfin, d'un côté on en reviens toujours au même point, c'est eux et leurs idées qu'il y aura sur les panneaux, ce sera un nouveau fond de commerce et les gens continueront de croire connement, au lieu de vivre vraiment, de ressentir vraiment... Mais quelque part on en est tous un peu là, avant d'etre quelqu'un, on est obligée de se persuader un peu qu'on est cette personne. Je veux dire qu'il y a forcement un moment où on doit se donner donner une definition de ce qui a de l'interet et de ce qui en a pas, et ca vient tres rarement de nous. Comme quand tu dis, hugo (sans majuscule aussi, hein...), que (je cite) "l'image que t'as d'une personnalité dépend souvent de celle qu'en donne les guignols".
Ok j'avoue je pars en couille, alors j'arrete...

heu... vous m'avez suivi ?